Témoignage Delphine Szeier

On dit des voyages qu’ils forment la jeunesse, ils ne font certainement pas que cela, ce voyage organisé par l’Association des Familles et Amis des Déportés du Convoi 73 et le Mémorial de la Shoah a renforcé mon identité et m’a permis de tisser des liens plus forts avec les participants.

CONVOI73LT

Association Les Familles et Amis des Déportés du Convoi 73

9/20/20245 min lire

On dit des voyages qu’ils forment la jeunesse, ils ne font certainement pas que cela, ce voyage organisé par l’Association des Familles et Amis des Déportés du Convoi 73 et le Mémorial de la Shoah a renforcé mon identité et m’a permis de tisser des liens plus forts avec les participants. Je tiens à préciser que les lignes qui vont suivre sont un témoignage parmi tant d’autres avec mes « lunettes », mon histoire de petite-fille de Jacob et de petite-cousine de Marcel Skrzydlak – Cousin germain de ma maman – disparu à Kaunas, mon vécu, et mes questionnements.

Je précise également que pour des raisons personnelles, je n’ai pu partir avec le groupe dès le lundi, aussi suis-je arrivée à Vilnius le mardi soir tard dans la nuit mais assez tôt pour prendre le vol matinal qui nous emmena vers Tallinn le mercredi 15 mai - date anniversaire de départ du convoi de Drancy.

Mes attentes

Qu’attendais-je de ce voyage ? de connaître mieux, d’approcher au plus près de ce qui est possible de faire 80 ans après, le trajet qu’emprunta mon grand-père, ce qu’il avait pu voir, les lieux qu’il avait pu parcourir, et le lieu où il avait perdu la vie. Ce voyage, qui aurait dû être fait plus tôt et qui avait été reporté pour cause de COVID il y a 3 ans, revêtait une émotion particulière en étant sur les lieux du périple du Convoi 80 ans pile après son départ. Effectuer ce trajet avec mon père était également important et ce pour 2 raisons :

- la première : passer un temps précieux avec lui sur les traces du passé de son père, mon grand-père, cette figure centrale de notre famille qui s’était sacrifié ce matin de mars 1944 afin de laisser la vie sauve à ma grand-mère pour qu’elle puisse « rester avec l’enfant. »

- la seconde : nous créer aussi un lien particulier, de pouvoir partager et témoigner ensuite d’avoir passé quelques jours ensemble et créer à notre tour un moment important dans l’histoire de notre famille.

Les participants

Nous étions une quarantaine, apparemment un nombre important comparé aux autres voyages déjà effectués. Nous pourrions même dire de 7 à 77 ans afin de montrer l’étendue des âges représentés. Les plus jeunes étaient venus accompagnés de leurs parents et certains même de leurs grands-parents.

Cela permet de dire que ce voyage de mémoire permettra d’atteindre les mémoires vives des jeunes générations (non pas que celles des anciennes le soient moins !). D’autres participants n’avaient pas de lien direct avec le convoi, mais un intérêt prononcé pour les événements passés il y a 80 ans.

Lors des présentations des participants, j’ai été frappée par la diversité des parcours et la singularité des histoires de certains des 878 hommes lors de leur arrestation. Ces récits étaient empreints des mots de ceux qui souffrent et continuent de souffrir de l’absence. Dans certains cas, il m’a semblé que les narrateurs s’exprimaient encore avec leur vision d’enfant, malgré les 80 années écoulées.

Au final, mon sentiment est que tous les participants qui ont eu un proche dans ce Convoi poursuivent une quête : celle de rechercher des éléments, de trouver des indices qui permettront d’en savoir plus sur l’histoire du convoi et même, quête ultime sur leurs disparus pour obtenir des réponses aux questions sans cesse posées. Je crois d’ailleurs que c’était bien plus que 40 membres de famille et intéressés par l’histoire du convoi : j’ai la conviction que ces quelques jours ensemble sont à chérir, c’est un formidable pied de nez aux forces nazies et sur les lieux mêmes de l’horreur ; ce temps ensemble, c’est ce qu’ils n’auront pu nous voler, du temps passé ensemble, des liens créés / renforcés non seulement pour se rappeler ceux qui faisaient partie des 878 hommes, mais également tisser des nouveaux liens avec les nouvelles générations.

Il y a eu je pense un rapprochement vertical avec mon passé, mais également horizontal avec mes semblables pour qui le convoi 73 a une signification particulière, unir un peu plus nos destins en créant des expériences communes entre proches cousins ou cousins éloignés. Quelques mots sur ces cousins éloignés, sur les participants qui n’avaient pas de proche, et sont venus également pour dignement représenter les figures qui n’avaient personne (ce que je trouve tellement touchant), ou ceux qui ont simplement un intérêt pour ce qui s’est passé, une ouverture aux autres, à leur histoire et à l’humanité tout simplement.

Les lieux visités :

Ces lieux dont je connaissais uniquement le nom car ils avaient été prononcés par mon père à maintes reprises, mais qui ont pris une autre dimension en les voyant, en y marchant, en m’y recueillant. Et il était important que je m’en imprègne, que je les fasse miens, qu’ils soient en moi désormais. Je tiens notamment à remercier ici ceux qui ont effectué des discours sur chacun des lieux (et notamment Alexis qui m’a émue aux larmes). Ces discours nous ont permis de nous immerger tous un peu plus dans ce passé.

Que dire de la physionomie de ces lieux aujourd’hui ? Que les choses ont bien sûr beaucoup changé depuis 80 ans, que la vie, que le « normalité » a repris ses droits, qu’un entrepôt de meubles a remplacé les baraquements de l’aérodrome de Lasnamäe, qu’un projet hôtelier est planifié à Patarei. Que le beau temps, les gazouillis des oiseaux et ce ciel bleu contrastaient forcément avec le mal absolu qui avait sévi là-bas. Et c’est grâce à la présence de monuments, de stèles, que ces lieux restent des lieux de mémoire pour ceux qui y viennent. Il faut saluer ici le travail de l’association et de Louise Cohen – qui manque cruellement – afin de permettre à ces lieux de conserver leur dimension historique. Ce n’est que par la volonté de l’association, que ces activations de mémoire sont rendues possibles pour tous ceux qui se rendent dans ces endroits.

Faire ce voyage était pour moi indispensable, il fallait que je sois fidèle à mon histoire. Ce voyage a été difficile forcément, bourré d’émotions, j’y ai entendu ce que je n’avais jamais voulu entendre ou voir – pour me protéger. Il était indispensable pour moi de faire un pas vers mon passé, vers mon père et vers mes semblables. Je retiendrai aussi les moments de grâce de ce voyage que ce soit à l’école Juive de Tallinn avec les représentations des enfants qui chantaient et dont l’innocence était particulièrement émouvante tant elle contrastait avec le reste ou dans la synagogue avec le Grand rabbin Khot qui sonnait le Chofar.

À l’issue de ce voyage, est-ce que j’en ai su un peu plus sur l’histoire du convoi ? La réponse est évidemment oui. Mais avais-je appris un détail en particulier sur le lieu de la disparition de mon grand-père : avait-il perdu la vie à Kaunas ou à Reval, au cours d’une marche, lors d’une fusillade ou même lors du trajet, tout cela reste dans le champ de l’inconnu et de la quête que nous faisons tous.

La transmission se fait par la parole et les images, mais j’ai la conviction que rien n’est aussi fort que de la vivre, de l’expérimenter « en vrai » par soi-même et accompagnée de ceux qu’on aime. Grâce à ce voyage, je pense être devenue moi-même un sujet de transmission multi dimensions : par ce qui m’aura été raconté et toujours raconté par mon père, par mon histoire et par ce que moi-même j’aurai à raconter de ce que j’ai vu sur ces lieux à mes enfants et à mon entourage. Et faire vivre un peu plus l’histoire du convoi 73.

Delphine Szeier