Témoignage de Jacqueline Beberac : Maurice ALGAZZE
Témoignage relatif à une victime du Convoi 73
CONVOI73LT
l’Association Les Familles et Amis des Déportés du Convoi 73
9/9/20244 min lire
Mon oncle, Maurice Moïse ALGAZZE est né le 17 octobre 1920 dans la capitale de Cuba, La Havane. En 1915 ses parents avec deux enfants âgés de 4 et 2 ans avaient quitté la Turquie où ils n’avaient aucun avenir. En juin 1922, ils émigrent à nouveau mais vers la France, à Lyon. Ils sont ruinés après les malversations de l’associé de mon grand-père, mais riches de 5 enfants : Joseph, Samuel, Esther ma mère, Jacob et Moïse qui n’a pas deux ans.
Volonté d’intégration des parents, ils sont tous naturalisés et Moïse devient Maurice. En 1932, il obtient son certificat de fin d’études primaires. En 1935, c’est un adolescent athlétique, doux et joyeux de 1,75 m. Comme ses trois frères, il seconde son père dans ses affaires commerciales florissantes, jusqu’en 1942 où la société est « aryanisée » et un administrateur non juif imposé.
Maurice et son frère Jacques ne sont pas résignés, ils refusent le STO (service de travail obligatoire) et participent à des actions anti-nazies. Les deux frères tentent à plusieurs reprises en vain de se rendre à Londres rejoindre les forces combattantes gaullistes. Mais Maurice se sait menacé. Le 18 mai 1942, lors d’une manifestation contre la représentation de l’Orchestre philharmonique de Berlin à Lyon, il est arrêté et emprisonné à Fort-Barraux dans l’Isère.
Le 29 octobre 1943, ses parents sont raflés à leur domicile avec son frère aîné Joseph et internés au fort de Montluc à Lyon. Ils seront déportés par le convoi 62 le 20 novembre. Joseph sera libéré de Drancy le 19 décembre.
En 1944, Maurice est à Oyonnax dans l’Ain en apprentissage, il veut être opticien comme son beau frère, mon père. La Résistance lui procure une fausse carte d’identité au nom de Maurice Vincent. Il est arrêté le 8 avril 1944 par la Gestapo allemande ou la milice fasciste française, dans un train entre Lyon et Oyonnax, incarcéré à la prison de Montluc (Lyon) puis à Drancy avant d’être déporté par le convoi 73.
Je cite le préfet du département de l’Ain le 26 mars 1956, en rapportant les circonstances son arrestation : « Le 8 avril 1944, les Allemands ont organisé des contrôles d’identité à Oyonnax dans le cadre d’une campagne répressive contre le « maquis » d’Oyonnax. Algazzi, se croyant personnellement concerné et cédant à la panique, a spontanément présenté son passeport américain pour se justifier. Malheureusement, il avait imprudemment conservé sa fausse carte d’identité au nom de Vincent cousue à l’intérieur de sa veste. » Qu’est devenu son passeport cubain qui lui aurait permis de bénéficier du statut spécial accordé aux américains ?
Son frère Joseph arrêté avec ses parents en novembre 1943 n’a pas été déporté, grâce à son passeport cubain. Sur la petite lettre maintenant jaunie adressée à mon père et envoyée d’on ne sait où, Maurice écrit « Mon cher Alex, suis parti le 15 mai pour l’organisation Todt, mes papiers ne m’ont pas suivi, fais le nécessaire auprès du consulat. » Dernier contact avec sa famille, avec la vie. Il part dans le convoi 73 avec 877 compagnons de malheur.
Ma mère parlait de « son petit frère Mimiss », déporté pour travailler dans les mines de sel à Memel, pour l’organisation Todt. Elle a longtemps espéré, qu’étant en pleine force de l’âge, il se serait évadé, qu’il reviendrait. Elle est morte sans connaître l’histoire du convoi 73 dont la mémoire est bien vivante grâce à notre association.
Lors du voyage en Lituanie et Estonie, chacun de nous a raconté un petit morceau de son histoire. Chacun cherchant un indice pour tenter de connaître l’ultime sort de son déporté. Vilnius, Tallinn, emprisonné, torturé, affamé, abattu, évadé, où, comment, quand ? Etait-il sur une des photos apportées par Alain, ou sur les photos, photos des corps entassés avec du bois dans les forêts avant d’y être brûlés, avait-il laissé une inscription sur le mur du fort IX de Kaunas, où Pierre a reconnu le nom gravé par son père ?
Henri Zajdenwergier qui nous a malheureusement quittés le 20 mai, était en permanence dans nos pensées. Il était le seul à avoir vécu, à avoir vu, et pu témoigner. Membres de l’association depuis son origine ou depuis quelques mois, cousins, nous avons témoigné, écouté les autres et essayé de reconstituer une histoire individuelle et commune, partagé les émotions tout en visitant les lieux de détention en traversant les magnifiques forêts de pins gigantesques où pousse le muguet, si calmes après les horreurs indiscibles qu’elles ont abritées. Seules témoignent les stèles installées par l’association, pour qu’on n’oublie jamais. Maurice, je ne t’ai pas connu, tu es pour moi l’éternel beau jeune homme de 23 ans aux cheveux de geai qui me sourit.
Je ne peux m’empêcher de penser, depuis le 7 octobre, que les sourires de centaines d’autres beaux visages comme le tien resteront à jamais figés à 9 mois, 4 ans, 15 ans 20 ans ou plus... comme toi ils étaient beaux, voulaient vivre et ont été les victimes de la folie sanguinaire de nouveaux monstres innommables. Comme toi ils ont été martyrisés et exterminés au seul motif que vous étiez juifs... Mais tu vois, accompagnés de jeunes nous sommes là. Votre mémoire à tous sera honorée aujourd’hui et pour les générations futures.
Jacqueline Beberac
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