Raymond Schmittlein, universitaire et « terroriste » (1939 -1940)
Le dossier du mois est consacré à Raymond Schmittlein (1904 – 1974), futur ministre et futur vice-président de l’Assemblée Nationale qui, à Riga, n’a pas été que directeur de l’Institut Français ……
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Gilles Dutertre
3/28/20255 min lire


Raymond Schmittlein (1904 – 1974), futur ministre et futur vice-président de l’Assemblée Nationale, était principalement germaniste de formation. Inspecteur de l’enseignement français à l’étranger, il enseigna à Kaunas, Stockholm et Riga, où il devint directeur de l’Institut français. Mais, comme l’écrit Corine Defrance, « les années qu’il passa en Lituanie puis en Lettonie, comme enseignant et correspondant de l’agence Havas, de l’automne 1934 à janvier 1940 restent encore nimbées d’une part d’ombre »(1). L’aventure de Riga évoquée plus loin en est le parfait exemple !
(1) Raymond Schmittlein (1904-1974) : médiateur entre la France et la Lituanie par Corine Defrance, dans les Cahiers Lituaniens n° 9 (2008)
Raymond Schmittlein naquit à Roubaix le 19 juin 1904, cinquième enfant d’une famille d’origine alsacienne qui sera douloureusement marquée par la Première Guerre mondiale (ses deux parents décéderont en 1915). Après le bac, le jeune Raymond s’engagea le 8 mai 1924 au 23e Régiment de Tirailleurs Nord-Africains, stationné à Wiesbaden en zone d’occupation de la Rhénanie. Il fit les EOR (Élève Officier de Réserve) et fut affecté comme sous-lieutenant au Maroc. Mais, grièvement blessé pendant la guerre du Rif en novembre 1925, il dut mettre fin à ses espoirs de carrière militaire. Après pas mal de tâtonnements, il entreprit finalement des études de germanistique. Licencié en 1931, il réussit l’agrégation d’allemand en 1932. En 1934, il lui fut conseillé d’entreprendre un doctorat sur la toponymie et l’onomastique lituaniennes (2). C’est la raison pour laquelle, alors professeur au lycée de Chartres, il sollicita le poste de lecteur de français qui venait d’être créé à l’Université de Kaunas.
(2) L’onomastique a pour objet l’étude des noms propres. Elle comporte deux branches majeures : l’anthroponymie (noms de personnes) et la toponymie (noms de lieux)
A partir de l’automne 1934, Schmittlein resta quatre ans à Kaunas. Mais, probablement victime de calomnies (germaniste d’origine alsacienne, marié à une Allemande, certains milieux lui reprochaient – à tort – d’être trop proche de l’Allemagne), toutefois toujours soutenu par les autorités diplomatiques françaises, il fut transféré dans le domaine culturel à Riga à l’été 1938, au Lycée Français et à l’Institut Français.
Officier de réserve, à la déclaration de guerre en septembre 1939 il fut mobilisé en tant qu’attaché militaire adjoint à Riga, en charge du service de renseignement. L’attaché militaire, le colonel Hoppenot, disait de lui : « Cet officier de réserve est ce que je pouvais espérer de mieux pour cette délicate mission ». Sa connaissance de la région, ses connaissances linguistiques (allemand, russe, lituanien), sa connaissance de la montée du national-socialisme à Memel/Klaipėda qu’il avait étudiée pour l’agence Havas, et un intérêt marqué par la « chose » militaire en faisaient un expert recherché.
Son départ de Riga, le 4 janvier 1940, sera quelque peu précipité en raison de l’incident ci-dessous rapporté ! (3)
(3) Les faits qui suivent sont relatés par Jean de Beausse dans Diplomate en Lettonie
On sait que, suite au second traité signé le 28 septembre 1939 entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, les Allemands décidèrent le 7 octobre d’évacuer les 62 000 « Baltes » de Lettonie (Lettons d’origine allemande) vers le Reich, tout devant être achevé en principe dans les 15 jours. Les premiers départs eurent lieu le samedi 14 octobre. Les partants, autorisés à ne prendre que deux valises et 10 lats, durent quitter le pays de leurs ancêtres en abandonnant maison, mobilier, argenterie et souvenirs, mais étaient paraît-il plein de confiance et de gratitude envers leur Führer ! 735 ans d’histoire allaient être abolis.
Parallèlement, conformément à l’accord imposé à la Lettonie par l’URSS le 5 octobre 1939, les troupes soviétiques commencèrent à entrer en Lettonie le 29 octobre.
C’est dans ce cadre que le samedi 9 décembre le navire « Sierra Cordoba »(4), transportant un millier d’émigrés « baltes », quitta le port de Riga. Mais il n’alla pas loin ; à Bolderāja, avant-port de Riga, on présenta un paquet au capitaine : c’était une bombe ! Le navire revint dans la soirée à Riga car d’autres bombes auraient été trouvées à bord. Le bateau repartit finalement le lundi 11 décembre de bonne heure, avec des passagers moyennement rassurés.
(4) Paquebot transatlantique en fin de carrière, affrété comme paquebot de croisière par l’organisation de loisirs contrôlée par l’Etat nazi Kraft durch Freude
C’est le mercredi 13 décembre après-midi que tout se gâta pour Raymond Schmittlein, directeur de l’Institut français. Il reçut la visite de la police lettone qui effectua une perquisition en accord, du moins c’est ce que dirent les policiers, avec la légation. Le résultat fut négatif mais les policiers demandèrent néanmoins à Schmittlein de les suivre, l’assurant qu’il serait libre pour son cours à 17h. En fait, retenu de force, il fut écroué sans mandat d’arrêt. L’ambassadeur se rendit le lendemain matin au Ministère des Affaires Étrangères où il apprit que Schmittlein était accusé d’être l’auteur de la tentative d’attentat du « Sierra Cordoba » !
Ce n’est que le vendredi 22 décembre que Raymond Schmittlein, reconnu innocent, sera libéré. La police lettonne, sans doute sous la pression des Allemands, l’accusa de « s’occuper de renseignement » et le pria (sic) de quitter la Lettonie avant le 1er janvier. Le ministre (5) continuera à protester contre la manière dont avait été traité le directeur de l’Institut français : circonstances de l’arrestation, régime auquel il avait été soumis, absence de défenseur. Ses démarches pour essayer de faire annuler son expulsion restèrent vaines ; tout au plus obtint-il 5 jours supplémentaires de délai.
(5) Un ministre plénipotentiaire est au XIXe siècle et durant la première partie du XXe siècle un représentant accrédité d'une puissance étrangère auprès d'une autre. Il prend ce nom lorsqu'il ne jouit pas du rang et de l'appellation d'ambassadeur, par exemple lorsque la représentation diplomatique à l'appellation de légation et non d'ambassade (Définition Wikipédia).
Raymond Schmittlein quitta Riga pour Stockholm le 4 janvier 1940. La police vint constater son départ de visu le 6 janvier. L’Institut français était ainsi privé de son directeur et d’un professeur de français. Mais, apparemment, les Lettons lui en voulaient de ses autres activités.
A Stockholm, Raymond Schmittlein poursuivit ses activités de renseignement au profit de l’ambassade de France en Suède. Participant à la bataille de Narvik en 1940, il rejoignit très vite la France Libre, au sein de laquelle il joua un rôle éminent, notamment au Levant. De Gaulle le remarqua et l’envoya en Union soviétique en mars 1942. Puis il regagna Alger à la mi-novembre 1943 où il fut attaché au cabinet du général de Gaulle. Finalement, il réussit en juillet 1944 à rejoindre l’armée qui se battait en France et, débarquant à Saint-Tropez le 29 août 1944, il participa à tous les combats sous les ordres de de Lattre jusqu’à la capitulation de l’Allemagne. Le gouvernement provisoire français le nomma directeur de l’éducation publique (DEP) du gouvernement militaire français en Allemagne occupée.
Rentré en France en 1951, il entama une longue carrière politique, notamment de député, au service du mouvement gaulliste avant d’évoluer vers le Centre. Il fut brièvement ministre à deux reprises, (1954 et 1955), puis vice-président de l’Assemblée Nationale de 1962 à 1965.
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