Maurice, comte de Saxe, éphémère duc de Courlande

Même s’il n’est pas français, le maréchal Maurice de Saxe (1696 – 1750) a longuement servi la France et s’est notamment illustré à la bataille de Fontenoy (11 mai 1745). Et il serait dommage de se priver du côté cocasse de la brève période où il a été duc de Courlande.

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Gilles Dutertre

10/31/20245 min lire

Même s’il n’est pas français, le maréchal Maurice de Saxe (1696 – 1750) a longuement servi la France et s’est notamment illustré à la bataille de Fontenoy (11 mai 1745). Et il serait dommage de se priver du côté cocasse de la brève période où il a été duc de Courlande. Décédé au château de Chambord, il repose dans l’Église protestante Saint-Thomas de Strasbourg, ce qui renforce ses liens avec la France.

Fils naturel de Frédéric Auguste dit « Le fort », électeur de Saxe (1), et de Marie-Aurore, comtesse de Königsmarck, il s’intéressa dans son enfance plus au cheval et au fleuret qu’à la lecture et à l’écriture. Dès qu’il sut se tenir seul à cheval, il suivit le roi son père dans toutes ses expéditions militaires. À l’été 1708, à l’âge donc de 12 ans, il participa ainsi au siège de Lille du côté des troupes anglo-autrichiennes face aux Français. Au passage, entre la prise de la ville et celle de la citadelle, il eut sa première aventure galante et mit enceinte sa jeune partenaire Rosette. À 12 ans ……

(1) Il sera élu roi de Pologne / grand-duc de Lituanie le 27 juin 1697 avec le soutien du tsar Pierre 1er, face au candidat de Louis XIV, le prince de Conti. Il sera couronné le 15 septembre 1697 et deviendra alors Frédéric Auguste II

Depuis 1711, le duché de Courlande vivait des heures troublées. Le jeune duc Frédéric III Guillaume Kettler, duc depuis 1698 (il avait alors 6 ans), avait épousé en 1710 à Saint-Pétersbourg Anna Ivanovna, quatrième fille du tsar Ivan V. Mais il mourut sans postérité, le 21 janvier 1711, lors de son retour de Saint-Pétersbourg avec sa jeune épouse, d’un abus de « boissons échauffantes » (2). Son oncle Ferdinand Kettler était le régent depuis 1698 et aurait dû devenir duc à la mort de Frédéric III Guillaume. Mais, comme il était catholique, la noblesse préféra confier le pouvoir à Anna Ivanovna, veuve du défunt duc, qui devint donc régente de facto. Ferdinand se retira à Dantzig.

(2) Les boissons échauffantes « comprennent les vins purs, l’hydromel, les cidres, les bières fortes, les eaux-de-vie, les liqueurs, le café » Des substances alimentaires et des moyens d’en régler le choix et l’usage de N-A Hébert, 1842

Fille du tsar Ivan V, nièce de Pierre le Grand, la très jeune veuve (elle a 18 ans) se consola vite, notamment dans les bras d’un Pierre Bestoujev, puis surtout d’Ernst Johann Bühren, fils d’un petit propriétaire terrien courlandais. Ernst Johann Bühren avait transformé son nom pour paraître parent de la famille française des marquis puis duc de Biron. Il sera finalement duc de Courlande de 1737 à 1740 et de 1763 à 1769.

Pendant ce temps-là, le roi de Pologne projetait de réunir le duché de Courlande, dont le roi de Pologne était le suzerain, à la couronne et d’en faire une simple voïvodie. Ferdinand Kettler, âgé de 70 ans, était d’ailleurs l’objet d’une maladie sérieuse en décembre 1725 et les Polonais n’attendaient que sa mort pour réunir le duché à la couronne.

Les Courlandais, informés de ce qui se tramait contre eux, cherchèrent à contrer cette résolution. Leur résident à Varsovie, un dénommé Brakel, suggéra de proposer la souveraineté du duché à la Cour de Saxe, et en l’occurrence au comte Maurice. La proposition fut transmise par Brakel à Varsovie début 1726.

Maurice alla secrètement à Mitau/Jelgava pour rencontrer la duchesse douairière Anna Ivanovna (3). Malgré des manœuvres contraires, le comte de Saxe fut élu à l’unanimité, le 28 juin 1726, successeur du duc de Courlande « au cas que ce prince mourût sans enfans (sic) mâles ». Le diplôme lui fut expédié le 5 juillet 1726.

(3) Future impératrice Anne 1ère de Russie

Lorsqu’il apprit cette élection, le prince (russe) Menchikov, qui avait été un rival malheureux du comte de Saxe, envoya le comte Dolgorouki à Mitau avec un corps de 1 800 hommes, où il arriva le 10 juillet. Il déclara que, s’il n’y avait pas dans les dix jours une élection qui convienne à la tsarine Catherine 1ère, celle-ci ferait rentrer 20 000 hommes en Courlande. Mais ces menaces n’intimidèrent ni le comte de Saxe, ni la noblesse courlandaise, car ils escomptaient la protection de la Pologne.

Or, la Diète de Pologne, assemblée à Grodno, avait annulé l’élection du comte de Saxe à la fin du mois de septembre 1726. En 1727, le comte rencontra plusieurs fois secrètement son père, alité à Białystok, mais celui-ci refusa de lui remettre son diplôme d’élection. Finalement le comte rentra à Mitau (Jelgava), puis à Libau (Liepāja) et enfin, le 8 août 1727, il se retrancha dans l’île d’Usma, près de Goldingen (Kuldīga), avec 300 soldats et 600 paysans.

(4) Depuis, l’île a été renommée « Moricsala », l’île de Maurice

Néanmoins, les généraux russes Lasci et Bibikov investirent l’île d’Usma avec 1 200 hommes. Le général Lasci rencontra le comte de Saxe, mais celui-ci ne voulut entendre aucune des propositions du général. Ce dernier lui signifia qu’il lui donnait 24 heures pour se décider, car il se doutait bien que le comte « jouait la montre » pour se fortifier.

Le comte de Saxe, dont les retranchements étaient loin d’être achevés, comprit qu’il était hors d’état de résister. Il se retira le 18 août 1727 en direction de Windau (Ventspils), puis de Königsberg (Kaliningrad) et Dantzig (Gdansk), laissant ses bagages aux mains des Russes.

Les Commissaires de la République de Pologne – Lituanie étaient arrivés le 16 août à Mitau/Jelgava, avec un millier de Dragons. Ils convoquèrent la Diète de Courlande pour le 15 septembre et obtinrent que les Russes quittent le duché. Le 27 septembre 1727, ils prirent un décret annulant l’élection du comte de Saxe et déclarèrent « les duchés de Courlande et de Sémigalle réunis à la couronne de Pologne, après la mort du duc Ferdinand ».

Ainsi se terminait la parenthèse courlandaise de celui qui mènera, le 11 mai 1745, les armées françaises à la victoire de Fontenoy et, dans la foulée, aux prises de Bruxelles et de Maastricht.

À noter que le maréchal de Saxe fut un des sept maréchaux qui, de toute l’histoire de France, reçurent le titre honorifique de maréchal-général qui leur donnait préséance sur les autres maréchaux. Il mourut le 30 novembre 1750 au château de Chambord qu'il avait reçu du Roi Louis XV en 1748. Comme il était protestant, il ne put être inhumé à Paris, et sa dépouille fut envoyée à Strasbourg, On peut encore admirer aujourd'hui un splendide mausolée érigé à sa mémoire en 1771 dans l'Église protestante Saint-Thomas (ci-dessous).