La vente de navires de guerre français à la marine lettone
Lors de leur accession à l’indépendance, les Etats baltes durent créer de toutes pièces leur armée et notamment leur marine de guerre.
LVHISTOIRE
Gilles Dutertre
12/6/20245 min lire


Lors de leur accession à l’indépendance, les Etats baltes durent créer de toutes pièces leur armée et notamment leur marine de guerre. Les officiers et les équipages provenaient soit de la marine marchande, soit des marines de guerre allemande, autrichienne ou russe. Les premiers navires étaient une collection d’embarcations de tous types mises en service dans l’urgence des guerres d’indépendances, ou d’anciens navires allemands et russes retapés tant bien que mal et remis en service.
On cite ainsi l’exemple du premier navire significatif de la Marine lettone, le « Virsaitis ». C’était l’ancien dragueur de mines allemand M.68 qui avait coulé dans l’embouchure de la Daugava le 29 octobre 1917, après avoir heurté une mine. Comme aucun élément vital n’avait été endommagé, il fut renfloué et réparé par les chantiers navals lettons en 1921. Il rejoignit quelques remorqueurs et deux brise-glace, tous deux hérités de la marine russe et rebaptisés « Varonis » et « Lačplesis ».
C’est en 1921 que le Saeima (Parlement) letton commença à examiner les besoins de la Marine lettone présentés par son chef, le commandant Archibald von Keyserling. Mais ce n’est que le 10 avril 1924 que fut votée la loi de Défense Navale. Cette loi prévoyait les fonds (9 989 200 lats) pour l’achat étalé sur quatre ans de 2 sous-marins, 2 dragueurs de mines, 500 mines et 6 hydravions.
A partir de ce moment-là, Britanniques et Français se livrèrent à une rivalité intense pour obtenir les marchés. Il est dit qu’aussi bien les Britanniques que les Français (et notamment le capitaine de frégate Louis Marie Vennin (1871 – 1942), attaché naval français en Finlande et dans les États baltes) utilisèrent des moyens variés et souvent discutables (sic) pour influencer les Lettons.


Malgré leurs efforts acharnés, et en dépit du soutien du chef de la Marine lettone, Archibald von Keyserling (1882 – 1951)[1], le comte Damien de Martel (1878 – 1940), commissaire de la République française, et le capitaine de frégate Vennin[2] virent le contrat des mines et des hydravions leur échapper.
La demande du gouvernement letton de pouvoir envoyer leurs officiers et leurs équipages se former et s’entraîner dans les écoles navales, soit en Grande-Bretagne, soit en France, allait permettre aux Français de prendre leur revanche.
Les Français acceptèrent en effet d’ouvrir leurs écoles aux officiers lettons, mais aussi qu’ils puissent compléter leur entraînement en prenant du service sur les navires de guerre français. Il y avait toutefois une condition liée à cette facilité : que les commandes des navires restant (sous-marins, dragueurs de mines) aillent aux firmes françaises.
Il s’avère que ces instructions avaient été données par celui qui était désormais (depuis novembre 1921) le contre-amiral Jean-Joseph Brisson, sous-chef d’Etat-major général, président du comité technique de la Marine, président de la commission permanente des essais des bâtiments de la Flotte. Or, Brisson était un héros pour les Lettons, ayant commandé, comme nous l’avons vu précédemment, l’escadre franco-britannique qui, en tirant sur les positions germano-russes de Dünamünde / Daugavgriva le 15 octobre 1919, permit la libération de Riga et la reconquête de la rive sud de la Daugava par les troupes lettones.
Finalement, le 4 juillet 1924, la commande pour la construction de deux sous-marins alla à la société française « Ateliers et Chantiers de la Loire », la société Augustin-Normand du Havre recevant le contrat pour construire les deux dragueurs de mines.
L’amiral comte Keyserling reçut la Croix de la Légion d’Honneur le 19 novembre 1924. Six autres dignitaires lettons, dont les commandants des deux sous-marins, la reçurent également, mais en 1926, au lancement des navires.
[1] En letton Arhibalds Pēteris Teofils fon Keizerlings
[2] Le capitaine de frégate Louis Marie Vennin sera nommé capitaine de vaisseau au 13 mai 1924. La même année, il sera fait commandeur de la Légion d’Honneur
La construction des sous-marins commença en 1925. Le projet, dit « Loire-Simonet », avait été conçu par M. Jean Simonet. Les bâtiments étaient assez étroits (55 mètres de long pour 4,6 mètres de large), avec une double coque. La vitesse maximale était de 17,5 nœuds sur l’eau, de 10 nœuds sous l’eau. La profondeur de travail était de – 55 mètres, au maximum - 70 mètres. Leur équipage était de 32 personnes. Ces données sont comparables à celles des sous-marins français de l’époque.
Les sous-marins furent mis à l’eau le 1er juillet 1926 pour le « Spidola » et le 6 octobre 1926 pour le « Ronis ». Ils furent admis au service de la marine lettone en 1927 avec comme port d’attache Liepaja.
Les bâtiments furent saisis par les Soviétiques lorsque ceux-ci occupèrent la Lettonie, suite au blocus maritime par la Flotte de la Baltique soviétique, commencé le 12 juin 1940, et surtout à l’invasion du 15 juin 1940. Les deux sous-marins furent intégrés à la marine soviétique le 19 août 1940, au sein de laquelle ils gardèrent leur nom, mais écrit en cyrillique.
Le 22 juin 1941, les Allemands se retournèrent contre leurs anciens alliés et attaquèrent l’URSS à partir notamment de la Prusse Orientale (opération « Barbarossa »). Les sous-marins présents à Liepaja, à 90 km de la frontière allemande, dont le « Ronis » et le « Spidola », furent sabordés par leurs équipages dans la nuit du 23 au 24 juin 1941, afin de ne pas tomber aux mains des Allemands.
Les bâtiments furent renfloués en 1942 par les Allemands, mais, inutilisables, ils seront découpés en morceaux. Triste fin à Liepaja pour des sous-marins construits à Nantes.
Nous ferons une mention particulière pour Hugo Legzdiņš (1903 – 2004) – photo ci-dessous - qui fut le dernier commandant du « Ronis » (1940-1941) au baptême duquel il avait participé en France en 1926. Entre temps, il avait suivi en France les cours des Officiers torpilleurs (1935-1936) puis, toujours en France, l’Académie navale (1938). Il fut décoré de la croix de chevalier de la Légion d’Honneur le 27 juillet 2001 par le Président Jacques Chirac pour services rendus à la France.


Le Souvenir Français en Lettonie suggèrera en temps opportun que « quelque chose » soit fait pour rappeler l’aide de la France à la jeune démocratie lettone, soit en 2026 (mise à l’eau) ou soit en 2027 (admission au service).
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